L’art d’accommoder les restes.

Bien que la psychanalyse et la sublimation soient freudiennes, convenons avec Lacan que Freud est resté au sujet de cette dernière « bouche cousue1 ». Il n’est pas étonnant que le beau nous cloue le bec, c’est justement un temps où l’on n’est plus pris dans les signifiants, un temps où l’on est, un peu comme dans l’angoisse, réduit à notre vivant. Pourtant, et parce que cet apport aura guidé la voie à l’élaboration du discours analytique, prenons le temps de préciser la définition qu’en propose Lacan : la sublimation est le fait de récupérer l’objet a par l’art, de le saisir. Ainsi Lacan, freudien, nous met en garde contre deux folles tentations : celle d’être lacanien et d’oublier ainsi d’où nous venons au risque de croire que l’on pourrait s’auto-engendrer, et celle, toute proche de la précédente, de se prendre pour un psy, de faire le psychologue. Les enfants jouent à la dinette, au docteur, se griment en dragon, mais savent reprendre corps ensuite dans un nouage qui fait lien social. Or celui, adulte, qui « ferait » le psy, aurait vite fait de passer pour un fou refusant de descendre de sa monture pour ré-endosser sa pure condition de parlêtre, ce serait se fixer à l’imaginaire et croire que ça colle. Ne se logerait-elle pas là, la différence entre le désir de l’analyste et le désir d’être analyste ? Nous voyons se lier la sublimation, le beau, la vérité et l’éthique, tachons de nous en expliquer.

En disant de Marguerite Duras qu’elle sait sans lui ce qu’il enseigne, Lacan nous rappelle que tout dit s’inscrit dans un discours. Il trace une ligne entre le savoir insu de l’inconscient et celui qui prend la forme de la vérité qui provient du maître. Il nous invite à saisir que toute clinique provient d’une pratique. Le psychanalyste qui s’autorise de lui-même pour tenter de pratiquer, s’autorise aussi de quelques autres auprès desquels et avec lesquels s’élaborera sa clinique, prenant appui sur la théorie qui toujours l’interroge, réticente. Cela parce que le réel. Cela parce que la vérité mi-dite. Refuser l’aporie rend impossible l’entrée dans le discours analytique, c’est se faire le psy de son patient, écouter depuis une position de sujet divisé, attendant de, demandant si, espérant que… soit une position qui n’est pas celle que tente d’occuper l’analyste-objet a du discours analytique qui se doit d’opérer hors de sa propre division, hors du sens qu’il attribue aux signifiants. On atteint le terrain de l’éthique. C’est cela surtout que j’aimerais partager de cet «  Hommage à Marguerite Duras du ravissement de Lol V. Stein » et des lectures qui m’ont accompagnée. Aussi verrons-nous, avec Marcel Cohen, Marguerite Duras, Sophocle mais aussi Henri Michaux et Wajdi Mouawad comment la littérature fraierait la voie à la psychopathologie, à la psychanalyse mais aussi au psychanalyste.

I La littérature fraie-t-elle la voie à la psychopathologie ?

Plutôt que de psychopathologie, Claude Landman propose de parler de « logopathologie ». Il nous semble que la distinction qu’il établit est celle qui donne à la psychopathologie psychanalytique sa spécificité. Parce qu’il recèle deux fois le même affixe : *logos, il serait en mesure d’interroger ce qui dit la douleur de ce qui se dit, ou la douleur de dire (douleur d’avoir à dire?). Nous sommes là au cœur même du drame du sujet. Prise ainsi, la psychopathologie cesse d’être ce qui dit la douleur de la psyché, ou de l’âme, elle cesse d’être un discours extérieur proférant un savoir sur celui qui souffre faisant du sujet un objet de connaissance ; elle vient alors porter l’attention sur l’écoute des mots qui disent la douleur singulière de devoir en passer par eux. D’une certaine manière, la logopathologie dépathologise l’affaire et nous place tous face au même problème : la grammaire.

En cela, Lacan rend hommage à Marguerite Duras pour avoir su nous dévoiler quelle était la grammaire de Lol. C’est également ainsi que procède Charles Melman2 dans sa présentation de malade, on le voit qui tache de repérer la grammaire de la patiente comme point de repère nosographique voire de l’inviter à repérer sa propre grammaire. Et même si cette confusion pronominale et de conjugaison qu’il a décelée n’est pathognomonique de rien, elle reste un signe, mais dont l’analyste se saisira comme d’un chiffre et non pas d’un signe en soi, nous y reviendrons. Or, l’orientation actuelle de la psychopathologie tournée vers le pur discours scientifique en quête d’image-preuve dénue le symptôme de tout sens singulier pour en faire un signe observable, mesurable, quantifiable et universalisable, elle forclot ainsi le sujet. Pourtant, à l’image du messager de Marathon qui portait le message sur son front, le sujet ne sait pas quel est le message que son symptôme recèle. Comment donc le soignant le saurait-il ? Ce savoir-là n’est dans aucun livre et cela, la littérature nous le dévoile quand elle veut bien ne pas trop se faire narrative ou porteuse des opinions qui courent. C’est dans ces moments-là qu’elle nous saisit, dans ces moments-là qu’on est ravis, réduits à notre corps vivant. La littérature cesse alors complètement d’être une aventure intellectuelle ou cérébrale ou mentale pour devenir une expérience de corps, toute singulière.

C’est cette distinction-là que propose Lacan quand il parle d’hystoire comme le récit de l’hystérique qui se répète mais ne résout rien. Les récits traumatiques foisonnent et déballent, mais que recèlent-ils ? Leurs auteurs ont-ils vécu un bouger ? Qu’ont-ils déposé d’eux-mêmes, qu’ont-ils lâché ? Ont-ils parlé ou dit ? Lacan nous met en garde contre la tentation de se faire le psychologue du patient comme si le Moi de celui-ci s’adressait à Moi. Celui qui reste absent de toute cette littérature tout comme du discours scientifique et d’une certaine psychopathologie, c’est bien le sujet.

En cela, la psychopathologie psychanalytique se voit enseignée ; si on n’y prend pas garde, si on ne résiste pas, le DSM pourra scanner ces écrits et prescrire la molécule adaptée pour garantir le bonheur à ces auteurs en fonction des occurrences et des signes. A l’inverse de cette marche forcée, lire Le Ravissement de Lol V. Stein, Oedipe, Antigone, lire Faits de Marcel Cohen, Incendies de Wajdi Mouawad ou la poésie de Michaux nous fait entrer dans l’énigme, dans une résistance face à la mise au pas du discours capitaliste. Une énigme qui échoue à répondre à la question « qu’est-ce qui vous arrive ? » ou « qu’est-ce qui vous amène ? ». L’autre littérature fait réponse, celle-ci fait énigme et nous inclut dans cet universel qui tente de dire quelque chose de ce manque-à-être.

Quand on lit Incendies de Wajdi Mouawad, réécriture du mythe d’Oedipe sur fond de guerre au Liban, on ne peut qu’être saisis par l’absolu silence dans lequel la mère se mure : « le silence est pour tous devant la vérité »3 écrira-t-elle à son fils. Saisis également par la violence du fils devenu bourreau après avoir commis l’irréparable. Ce fils qui interrompra ses manœuvres et sa cruauté à chaque fois qu’il entendra la voix de la femme qui chante ; bercé sans le savoir par lalangue de sa mère enfermée dans une cellule voisine de celle où il opère auprès des femmes incarcérées. Ce rapport entre littérature et psychopathologie est à l’image d’une quête sous-terre. Celui qui tient la torche ce n’est pas le psy, c’est l’artiste. On relit alors autrement cette phrase de Marcel Czermak : « être soi-même objet a c’est perdre toute possibilité de deuil, c’est perdre l’objet même du deuil4 ». N’est-ce pas ce qui est arrivé à la mère et au fils de notre tragédie ? A Lol ? On comprend comment Freud n’aurait rien pu sans les dires hystériques ; mais aussi Genette qui nous rappelle que tout est toujours déjà là avec sa figure du Palimpseste. C’est la littérature et l’art qui ont été en premier lieu, les éclaireurs de l’insondable. Czermak5 ajoute que pour le névrosé, la chute de l’objet a fait naître le sujet alors que pour le psychotique, « l’objet a est incarcéré dans le langage, le désorganise, désarrimant les maillons de la chaîne et abolissant toute différence », pas étonnant que Lol, la mère Nawal et le fils Nihad aient cessé de parler ; ici on se situe dans la littérature telle que Lacan la conçoit, dans la grammaire outil du clinicien. Une littérature comme étant de structure, autrement dit assimilable à ce qu’est l’inconscient, structuré comme un langage autour d’un trou.

II « La littérature montre ce que nous, psychanalystes, démontrons ». Lacan

Ainsi, si nous en restons à l’historiole6, aucun bouger significatif n’interviendra chez le sujet et nous serons coincés entre le comportementalisme et les prescriptions. Réponse et responsabilité ont le même radical qui nous envoie du côté de la capacité de réponse du sujet. Là où la psychanalyse, non normative, diffère de ses voisines d’affixe, c’est qu’elle ne propose pas une adaptation du sujet à la société ambiante. Le bouger significatif qui intéresse la psychanalyse est la division subjective : or le trauma, la narration, la certitude des opinions ne permettent pas cet avènement. Nous disons avènement car c’est sur le plan du réel qu’intervient ce bouger, la seule chose dont peut attester un patient en fin de cure c’est le réel. On ne peut pas échanger des opinions en psychanalyse, et la littérature qui s’y consacre ne s’approche pas de ce que Lacan nomme le beau. C’est en tout cas ainsi que nous en avons saisi la définition, si le beau est cet espace où l’on gravite entre-deux morts, alors le beau c’est le réel, la vie même. Quand on lit Le ravissement de Lol V.Stein, les effets du signifiant sur le personnage sont de cet ordre, c’est son corps qui est touché et répond à la marque du signifiant, cela m’évoque un petit patient psychotique qui dit avoir peur que les petits autres ne « le plantent du doigt » ; le mot est la chose ici.

Ce que littérature a montré c’est qu’il existe de véritables espaces intérieurs. On pense aux titres des poèmes et recueils d’Henri Michaux : Lointain intérieur, La vie dans les plis, L’espace du dedans. C’est cela qui a mis Lacan sur la voie de la topologie, observer Antigone enterrée vivante, Lol coincée entre deux morts, la mère de Nihad incarcérée pendant des années dans cette prison pour femmes où son fils la violera sans savoir qu’elle est sa mère. La littérature nous a indiqué ces espaces du dedans depuis lesquels ça parle. Espaces psychiques qui indiquent combien le moi est une instance imaginaire, ce dont Lacan aura pu rendre compte grâce à l’approche borroméenne de la clinique, bien éloignée d’une simple dichotomie dedans/dehors ou conscient/inconscient. Ce qu’aura apporté la topologie de Lacan à ces manifestations littéraires, c’est la dynamique moebienne qui rend ces espaces vivants, et parvient à rendre compte du réel. Ce n’est alors plus une surprise que les mots nous manquent.

L’opération de sublimation qui permet à l’artiste de rendre présent l’objet a l’espace d’un écrit, d’une œuvre est proche de ce qu’en dit Wajdi Mouawad, auteur d’Incendies. Il compare le poète au scarabée qui doit la beauté fascinante et nacrée de ses élytres à sa capacité de métabolisation des excréments qu’il ingurgite. Autrement dit, ce à quoi parvient l’art parfois c’est à rendre articulable quelque chose qui habituellement ne l’est pas. Là où l’on s’enlise dans le discours, l’art s’approche au plus près de ce qui ne peut être dit. Et si l’on en croit la psychanalyse, ce autour de quoi nous passons nos vies à tourner c’est le non-rapport sexuel qui n’est ni plus ni moins que l’échec du phallique à tout attraper, à tout prendre. Et ce reste précisément échappe au symbolique, on ne peut pas le dire et pourtant il nous intime.

La littérature est un trou autour de quoi tournent les récits, et l’oeuvre d’art sait rendre présent l’objet a, elle sait faire apparaître le manque, elle nous montre ce qui ailleurs nous est dérobé et nous met aux prises directes avec l’éthique du désir. C’est en cela que la littérature fraie la voie à la psychanalyse, elle nous chuchote que quelque chose pourrait faire solution : lalangue. Et sur ce point je pense à un roman de Rachid Benzine, Les silences des pères7. Le titre déjà nous met sur la voie d’un dire qui se passe d’être dit, et le double pluriel qu’il emploie nous fait sortir de la dimension de témoignage pour entrer dans un universel, dans une forme de mythologie qui viendrait tenter de dire quelque chose de nos origines. Nous y faisons la connaissance du narrateur comme fils de son père. Père dont il fait bien peu de cas, et dont les origines et la modestie encombrent celui qui est devenu un pianiste de renommée mondiale. Ainsi, le père meurt ne laissant derrière lui que ses silences et une boîte de cassettes audio sur laquelle le fils tombe par hasard8 en mettant un coup de pied dans le manteau de la baignoire alors qu’il vide l’appartement ; un pan du carrelage s’affaisse laissant apparaître ces enregistrements que le père envoyait à son propre père pour lui donner de ses nouvelles. Le narrateur va se trouver bercé par les mots du père alors qu’il parcourt la France en voiture pour se rendre à son prochain récital. Bercé donc par lalangue, il va accepter de modifier sa trajectoire, s’arrêter dans des endroits inattendus, se mettre à parler, se laisser pénétrer différemment par les signifiants. Ça m’est apparu comme ce voyage qu’est la cure dans ces espaces du dedans, une exploration sensorielle de cette vie dans les plis, une traversée angoissante de ce lointain intérieur. Mais pour cela, il ne faut prétendre ni connaître, ni savoir. C’est là toute la finesse de la fonction de l’analyste et la délicate invitation faite au sujet d’associer librement pour se laisser surprendre par ce savoir insu.

Là-dessus, l’interview de Marguerite Duras par Dumayet est enseignante. Elle écrit Lol V. Stein en période de sevrage : « j’avais peur d’écrire n’importe quoi » nous dit-elle. C’est la première fois qu’elle écrit sans alcool, que peut-être le trou n’est pas bouché, ça a forcément favorisé la sublime approche qu’elle offre de l’énigme du féminin. Elle a vu Lol dans un bal organisé dans un asile psychiatrique à Paris, « elle était belle, intacte, agissait comme un automate ». « Elle n’a jamais parlé, elle a parlé comme tout le monde avec une banalité extraordinaire, elle parlait pour paraître comme tout le monde. Plus elle le faisait plus elle était singulière à mes yeux ». A propos du ravissement de Lol elle dira : « elle n’a pas souffert d’amour, elle a souffert d’être séparée de ». Ici l’on vérifie que l’effet d’un événement sur un sujet est singulier, et qu’inférer « ce que ça fait à quelqu’un de vivre quelque chose », c’est passer à côté du sujet. « Lol a très bien compris qu’on se déprenne d’elle, sans cette vanité un peu sotte qu’ont les personnes que l’on quitte ». Enfin, elle dira : « j’ai atteint avec ce livre une obscurité limite, je ne pouvais pas aller plus loin dans ma propre lucidité ; dans les autres livres, je trichais un petit peu ». Cette dernière phrase nous conduit du côté de l’éthique, et de la responsabilité du sujet à l’endroit du réel. Marguerite Duras s’est laissée embarquer, c’est Lol qui lui a dicté son livre.

III La littérature fait entendre ce qui manque, parce que « dire est autre chose que parler9 »

Le réel semble se loger dans cette phrase de Lacan : « dire c’est autre chose que parler », Marguerite Duras vient de nous le confirmer. Nous pourrions aussi nous pencher sur le narrateur du roman, Jacques Hold qui apparaît être une tentative de représentation du réel, un impossible. Le réel n’est qu’une des trois dimensions, mais il est toujours là, il est ce qui traverse le discours analytique et se figure par l’impossible rencontre entre la vérité et la jouissance. Jacques Hold se fait le témoin de l’angoisse face à la présentation de l’objet a, de l’imminence de ce moment où il se pourrait que rien ne manque. On voit bien qu’il ne se paie pas de mots, il passe par eux, certes, mais ne s’en laisse pas compter.

A cet égard, je me suis arrêtée un moment sur l’Oedipe de Sophocle et notamment sur les didascalies et le plus-que-parfait. Sauf erreur, il n’y en a que deux et qui sont adressées à Jocaste. La première apparaît au moment où celle-ci répond aux interrogations d’Oedipe sur Laïos. Elle lui indique : « il était de haute taille. Ses cheveux commençaient à blanchir. ». Là, et avant qu’elle ne reprenne, Sophocle ajoute : « (comme si elle s’en avisait pour la première fois) Il te ressemblait un peu ». La présence du système hypothétique et la didascalie elle-même ébauchent la position de l’analyste témoin-guetteur de la latence de l’inconscient, dans sa vigilance non pas au contenu du récit mais aux mots employés qui témoignent de la façon dont le sujet est pris de manière singulière dans le langage ; analyste qui pourrait en guise d’interprétation poser la question : « c’est à ce moment-là que vous avez noté la ressemblance entre Oedipe et Laïos ? », comme si ses interventions étaient des didascalies dans le drame du texte du sujet. La seconde didascalie rend compte de la topologie telle que Lacan l’a théorisée : « Ta naissance ! … Non, non, Oedipe, par les dieux !…Il s’agit de toi, de ta vie… Laisse là cette enquête… (A part) Ô malheur qui me frappe, épargne-le ! ». Jocaste est frappée par le réel dans le réel, il n’y a plus de mots qui vaillent ni de phrase qui tienne. Enfin, cette phrase qui dit la genèse d’Oedipe « il n’était pas né depuis trois jours que son père l’avait fait jeter, les pieds percés et liés dans un endroit désert de la montagne ». Oedipe est ici doublement objet, et l’antériorité maximale du temps verbal employé rend bien compte de la vigueur de la pulsion de mort, et de l’impossibilité d’aller contre le fatum.

Affirmons avec Lacan que c’est la poésie qui permet l’interprétation. Asséner une vérité, détenir un savoir sur, c’est nourrir l’aliénation. Les mots n’ont pas qu’un seul sens, sinon c’est un Moi qui parle avec un autre Moi, et du point de vue du discours analytique c’est un dialogue de sourds. L’analyste en position de déchet ne cherche pas le diagnostic mais le mi-dire de la vérité et la responsabilité du sujet face au reste, c’est-à-dire face au réel de son désir. Habilité à répondre du réel, à faire avec ce reste sans plus inculper la terre entière, en y prenant acte de la jouissance qu’on en tire et en choisissant, ou pas, d’en lâcher un peu ; c’est en cela que l’éthique de la psychanalyse s’origine de Sade. Ce que la littérature a éclairé pour la psychanalyse, c’est que l’éventuelle rencontre avec le sujet n’aura pas lieu en inférant quoi que ce soit. Marguerite Duras ne connaît pas Lol, Jacques Hold non plus. Ils lui font le crédit d’être sujet, et le reste n’est que suppositions. Laissons donc l’omniscience… à la science, et le tout-dire au capitalisme. En tachant de s’en tenir au fait clinique, en se posant en permanence la question même du fait, il n’y a plus qu’une possibilité : l’écoute. Jacques Hold, Sophocle et Marcel Cohen en témoignent et cela nous semble être une invitation faite aux analystes. Restons pouâtes afin que ce trouble originé par la beauté nous mette dans le tableau.

Si la littérature est l’art d’accommoder les restes, c’est peut-être parce qu’elle peut nous faire entendre autrement, depuis ailleurs, ces mots qui nous encombrent. Elle fait porter notre attention hors du sens, depuis un espace où l’on peut sortir des injonctions signifiantes. Nous pourrions en dire autant du travail de cure. Par ailleurs, lorsqu’elle nous saisit, lorsque le beau nous happe c’est parce qu’elle nous parle de notre condition de parlêtre sans détour, en y acceptant l’énigme qui le tisse et qui fait la cause de notre désir et la difficulté de savoir quelles en sont les limites. L’éthique du désir, on le voit chez Lacan nous la devons aux auteurs. La femme, la mort, l’amour ne sont sues de personne, elles sont dans l’inconscient. La belle affaire.

Edi Dubien, LACAN – Quand l’art rencontre la psychanalyse. Centre POMPIDOU de Metz.

1 Jacques LACAN, « Hommage fait à Marguerite Duras du Ravissement de Lol V. Stein », in Autres écrits, Paris, éditions du Seuil, page195, 1965/2001

2 Charles Melman, Présentation de malade, Paris, édition hors commerce de l’aLi, 2021, « Présentation XIII », p. 407-436.

3 Wajdi Mouawad, Incendies – Le sang des promesses /2 – Paris, Coédition Actes Sud-Léméac, Babel, 2010, page 126

4 Marcel Czermak, Passions de l’objet. Etudes psychanalytiques des psychoses., Association freudienne internationale, 3e édition, 2011, pages 211 et 343

5 Marcel Czermak, ib., page 343,

6 L’expression est de Lacan, 1976.

7 Rachid Benzine, Les silences des pères, Paris, Seuil, 2023

8 Ici, la phrase de Jocaste fait écho ; « Quelle sottise que la peur s’il n’existe rien au monde que le hasard ! ».

9 Jaques Lacan, Le Moment de conclure, leçon 3