« L’une des idées de la psychanalyse qui est d’une importance énorme pour conjurer le découragement, l’épuisement et la sédimentation est la réalisation que nous ne sommes pas des ingénieurs de la guérison, mais des bricoleurs de l’incurable. Cette idée est bien sûr fortement contestée par différents modèles de gestion et plans d’action idéologiques, orthopédagogiques, et médico-psychiatriques où se reflète au niveau individuel le rêve d’une terre totalement éclairée par le fantasme d’une santé totale jusqu’à la mort. Heureusement, le bricolage de l’incurable est lui-même aussi incurable, même si ce n’est que dans la marge. Les ateliers, le club thérapeutique, les rencontres surprenantes et le rassemblement à partir d’une hétérogénéité sont des manières de mise en forme de ce bricolage incurable. Surtout dans les services dont je parle, ces inventions de la psychothérapie institutionnelle sont tout simplement la seule option pour que la chronicité ne se pétrifie pas dans une mortelle intemporalité. »
Geysken Thomas, « un bricolage incurable », in Institutions, Revue de psychothérapie institutionnelle, 58, octobre 2016, p 20.
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« L’expérience c’est ce qui, comme le processus analytique,
remet en question l’ensemble du savoir ».
Jean Oury
Avancer masqués. C’est la première chose qui me soit venue à l’esprit quand j’ai pris connaissance de l’expression « bricoleurs de l’incurable » avancée par Thomas Geysken dans son article paru dans la revue Institutions1. J’ai pensé à tous les collègues rencontrés ça et là qui sont vent debout dans l’institution tachant de défendre quelque chose d’une éthique propre à la psychanalyse et que nous allons essayer de déplier. Ces personnes qui, lorsqu’elles passent leur entretien d’embauche masquent leur provenance, leurs principes pour coller aux attendus actuels portés par une psychologie qui se voudrait scientifique, voire, et là c’est le Graal, neuroscientifique. Pourtant, quand je lis les travaux de Pierre Delion, ceux de Jean-Claude Maleval, la thèse de Marielle Frayssinet, je me dis que la psychanalyse est peut-être au contraire tout ce qui reste à ces sujets atteints par les pathologies que Pierre Delion appelle « archaïques ». Une éthique de l’incurable. Un se tenir aux côtés.
J’ai donc envie qu’E*** nous accompagne tout au long de cette réflexion que nous allons mener pour nous positionner dans ce qui fait tant de raffût à l’heure actuelle, à savoir : pourquoi demander à la psychanalyse de fournir les preuves d’une science dure que l’on ne demande pourtant pas aux sciences humaines ? Pourquoi la psychologie prend-elle ce parti fou de devenir une science dure2 ? Pour entamer cette démarche nous nous appuierons sur les cours reçus dans le cadre du D.U. de Clinique psychanalytique, sur nos lectures mais aussi sur notre expérience de stage réalisé en Hôpital de Jour pour enfants atteints de psychoses infanto-juvéniles. Un établissement qui s’adosse à la psychothérapie institutionnelle et donc, à la psychanalyse.
E*** est un petit garçon de 10 ans, en passe de devenir obèse, sujet à une extrême violence contre lui-même et contre les autres, placé à l’âge de deux mois pour incurie avec ses deux sœurs. Seul son demi-frère, bien plus âgé est resté auprès des parents. Un petit garçon qui a mis l’institution à mal malgré les principes auxquels elle s’adosse, et auprès duquel j’ai passé beaucoup de temps à discuter lors de repas, de sorties, de temps informel. Un petit garçon qui m’a fait toucher du doigt ce que c’était que de s’engager. J’ai envie de l’appeler petit garçon même s’il a dix ans, et qu’il est obèse, imposant et violent. Y a qu’à entendre sa voix fluette, mal assurée. Un engagement qui m’a semblé s’approcher de l’étymologie du mot thérapeute, le *therapôn est le second d’un guerrier, son serviteur mais pas son esclave, comme Patrocle pour Achille3, comme Sancho Panza pour Don Quichotte, celui qui est garant de l’humanité de l’autre jusqu’à ce qu’il s’en charge lui-même. Patrocle avait pour mission par exemple de garantir qu’Achille aurait une sépulture à sa mort. Qu’il parviendrait à se faire un nom.
Que devient la santé mentale depuis cette place ? Quel serait alors l’impossible qu’il incomberait d’admettre à celui qui s’y installerait ? Est-il même possible de s’y installer ? Pourquoi cet engagement est-il en crise aujourd’hui et qu’est-ce que cela vient dire du paradigme actuel que l’on n’appelle plus soin mais « care »4. De quoi est-il question quand il s’agit d’accueillir la souffrance des bébés, des enfants, des adolescents, des adultes ? Comment en repérer et en accompagner les signes ?
I De quels repères disposent « les navigateurs perdus en mer » ? Enjeux cliniques.
Cette métaphore marine a été émise par Pierre Delion et revêt cette idée que nous sommes tous perdus en mer dans l’institution. Il n’y a pas les gardiens de phare et les potentiels naufragés. Ce n’est en tout cas pas ainsi que j’ai vécu mon expérience institutionnelle, ni comme ça que Oury ou Delion semblent envisager la vie avec les fous. Les gardiens de phare sont par définition hors du lieu « où ça se passe », et cela relève de ce que Delion appelle la psychiatrie vétérinaire, celle qui administre, celle qui injecte, celle qui pourvoit la contention à défaut de proposer de la contention. Aussi, et puisque c’est l’outil privilégié de la psychanalyse, nous allons commencer par nous pencher sur la nature et l’usage du transfert en institution -enfin… dans une institution qui accepte de ne pas identifier le sujet à son cerveau, qui accepte la qualité de parlêtre de chacun des patients, et qui accepte de renoncer au réductionnisme scientifique qui prétendrait pouvoir expliquer objectivement et irréfutablement par l’imagerie et les concepts ce que sont la pensée, la maladie, la vie et la mort-.
1. Quelle spécificité du transfert pour les pathologies archaïques ?
C’est le névrosé occidental poids moyen5 qui a permis à Freud d’établir le concept de transfert. Si toute la communauté psychanalytique manipule ce terme, il n’est pas certain du tout que nous parlions tous de la même chose quand nous l’employons. Pourtant, cet outil fondamental dans la cure psychanalytique, s’il est pris tel qu’élaboré dans le cadre de la névrose de cabinet, ne peut rien pour les sujets dits psychotiques dont nous allons voir tout de suite que leur mode d’être à l’autre ne peut en aucun cas être calqué sur celui du névrosé qui a un tout autre rapport au signifiant, notamment par exemple en en acceptant l’équivocité et en ayant admis que l’adoption du mot impliquait le meurtre de la chose. Ensuite, nous emploierons le terme d’archaïque plutôt que celui de psychose car dans le cadre du travail avec les enfants, la notion d’archaïque a été essentielle à notre compréhension de l’intérêt des médiations (ateliers, clubs, reprises, etc.), elle a aussi eu pour avantage de dépathologiser l’affaire, ou de la dé-structuraliser, et de lui redonner de la verticalité. Nous verrons que la vision déficitaire de la psychose a fait et fait encore d’importants dégâts. Et puis l’idée d’archaïque permet aussi d’appréhender autrement la clinique borroméenne. Nous venons tous de l’archaïque, l’avons tous en nous, en sommes tous pétris, la différence réside en fait dans le comment ça tient ; n’allons donc pas trop vite les prendre pour des fous, ni même pour des malades.
Ainsi et de manière synthétique, rappelons que le transfert est ce qui détermine la relation entre un patient et ceux qui se trouvent autour de lui, et que si l’on part de cette définition très simple, il est évident que les patients schizophrènes ou autistes n’ont pas le même mode d’être au monde, pas le même « équipement » que le nôtre. C’est l’essentiel de ce qu’apportera Tosquelles à travers la psychothérapie institutionnelle, et il étendra cette notion de transfert à l’ensemble des personnes qui sont au contact des patients. Une fois ce cadre établi, on ne peut pas, sans courir à la catastrophe, proposer à un patient schizophrène de s’allonger et de dire tout ce qui lui passe par la tête. Là encore, pour faire court et pour comprendre ce qui fait la spécificité du transfert dans les pathologies archaïques, disons que le petit bébé qui va bien accède à ce qu’on appelle l’objet total. Il est au sein, tête avidement le lait de sa maman tout en sentant les odeurs qui l’entourent, il entend aussi sa voix qui le complimente, rencontre son regard qui le couve et c’est un moment unique au cours duquel toutes ces sensations, habituellement atomisées, sont rassemblées, un moment unique où s’inscrit en lui la représentation de sa maman qui sera ensuite mobilisable en son absence. C’est cela l’objet total qui lui permettra de pouvoir se représenter, en absence, sa maman ; privilège de la névrose.
Or, dans le cadre des pathologies archaïques on peut croire y avoir accédé, pourtant l’objet total est non stabilisé, il vole en éclats et il n’y a pas de représentation solide du monde sur laquelle s’appuyer. Alors, le patient arrive en institution et au gré des rencontres avec ceux que l’on appelle les soignants, quelque chose se rejoue de cet éclatement ; tout était en fait resté atomisé. Les objets sont partiels. Cette conception est de Mélanie Klein et permet de comprendre pourquoi on peut appeler archaïque ce mode d’être au monde, parce que nous y sommes tous passés, et en nous avons tous gardé une trace. Le transfert sera donc formalisé sur le mode partiel ; il faudra plusieurs autres pour qu’il opère.
A ce sujet par exemple, nous pouvons commencer à parler d’E***, placé en pouponnière à quelques mois faute de soins maternels, parentaux, satisfaisants. C’est un enfant de 10 ans qui aura connu plusieurs familles d’accueil, plusieurs lieux de vie, dont la prise en charge est multiple (lieu de vie, foyer, hôpital de jour, ITEP, hospitalisations régulières en psychiatrie) au point que même les adultes qui le suivent s’y perdent, et qui peut manifester des formes aiguës d’hétéro-agressivité envers adultes et enfants juste après avoir câliné un soignant. Un enfant tellement éclaté qu’aucune institution ne tient seule pour le contenir, il faut un « maillage partenarial » pour tenter d’y parvenir, et une coordination pour le maillage, et même la coordinatrice a eu besoin d’être soutenue par un binôme pour tacher de remplir son rôle. Voilà ce que nous semble être la spécificité du transfert dans ces pathologies particulières. Un transfert que Tosquelles nommera multiréférentiel, nous y reviendrons tout de suite.
2. La constellation transférentielle comme seule réponse institutionnelle.
Si le transfert ne peut être que multiréférentiel, il est évident que la psychiatrie vétérinaire ne peut qu’échouer, il est évident que l’enfermement des patients ne peut qu’échouer, il est évident que le psychiatre enfermé dans son bureau seul avec des patients à diagnostiquer échouera à les accompagner. C’est ce qui conduit Oury à développer le concept d’« ambiance » comme étayant la structure du sujet, l’ambiance c’est l’environnement dans lequel il évoluera. L’institution ce n’est pas les murs mais ceux qui l’habitent, on habite l’institution comme on habite le langage, et si elle est désinvestie, le sujet en subit le contre-effet. C’est cela qui conduit certains établissements à envisager la contention chimique pour calmer les patients, comme on applique un protocole dès lors que les signes évidents d’agressivité sont visibles. C’est rendre fou des patients qui ne l’étaient pas en entrant. Comment espérer soulager quelqu’un par ce procédé ? C’est de la psychiatrie vétérinaire, c’est l’inverse d’un engagement, c’est une présence à peine. Delion à ce sujet précise que lorsqu’il a été nécessaire d’y recourir, ceux qui ont fini par s’y résoudre sont restés au chevet du patient contenu. Jamais la parole n’a été empêchée, on les a contenus le temps qu’ils ne soient plus éventuellement un danger pour eux-mêmes, mais les soignants sont restés là, l’ont accompagné, et sont revenus ensuite sur ce qui s’était produit et sur les conditions qui dans l’institution ont rendu possible ce passage agressif.
C’est ainsi que nous comprenons la « polydimensionnalité » de Tosquelles, qui l’a mené à développer la notion de constellation transférentielle. Cela repose sur une conception de l’institution comme vivante et donc à soigner. L’idée est que prendre soin de l’institution est la condition sine qua non pour prendre soin des patients. Autrement dit, les soignants aussi doivent être en position d’accueillir la souffrance et ses nombreux signes sans en être accablés. Comment soigner quand on est soi-même débordé ? Comment ne pas se prendre pour le bon samaritain en proposant au patient de vider son sac pour le prendre à son tour sur son dos sans s’en trouver littéralement écrasé à la fin de la journée ?
La constellation transférentielle c’est la réunion de toutes les personnes qui sont au contact du patient « atteint par cette pathologie » pour permettre l’accompagnement et le soin. Il faut donc intégrer l’institution au transfert : « repère précieux pour un navigateur perdu en mer6 ». Ces réunions sont l’occasion de témoigner des expériences traversées avec la personne. Et cette mise en récit n’est pas sans enjeux. C’est une fiction qui est créée et sera au contact des fictions des collègues, on approche de la notion de « fictuel » de Ginette Michaud. N’allons en effet pas croire que ce que nous avons vécu avec le patient est autre chose qu’une fiction, dans le sens où nous l’avons vécue à l’aune de ce que nous sommes, et du transfert qui s’est installé entre nous. Et en parler, aller poser notre fiction aux côtés de celles des collègues permet de recoller les morceaux d’un être atomisé, et de poser sur celle-ci un regard décalé ; enfin, l’intérêt aussi est de faire face à l’incurable en n’étant pas seuls.
Au principe de ce type de réunion se trouve l’idée que les pensées du soignant sont floues, approximatives, voire refoulées et que s’autoriser à en dire quelque chose revêt de nombreux enjeux. S’il s’agit de raconter authentiquement son récit et son ressenti, cela implique de prendre soin de l’institution dans un type de relation particulier, et pour commencer non managérial. Si celui qui « dit une connerie » est en risque de ne pas être renouvelé, alors la parole sera muette. Cela signifie que la question de la légitimité à parler ne doit plus en être une, cela signifie qu’il est entendable, humain, normal et sain d’avoir des « mauvaises pensées », qu’il est admis par tous que l’on peut être le bon ou le mauvais objet, et que même cela peut changer. Mieux vaut dire qu’on a envie de gifler le patient, plutôt que le faire sous le coup d’un passage à l’acte, et pour cela il faut ne pas être sous le joug de la bonne note.
A ce propos, revenons sur E***. Les réunions cliniques à l’hôpital de jour sont hebdomadaires, toute la journée du vendredi y est consacrée sur le lieu de stage où j’ai fait mes premières armes ; mais il y a aussi une fois par mois une réunion de tous les partenaires institutionnels qui, de près ou de loin suivent E***. La plupart des réunions censées permettre d’aborder tous les enfants et tous les ateliers sont accaparées par E***, il est celui des enfants accueillis qui prend le plus de place, à défaut d’en avoir une. C’est un enfant qui clive régulièrement une équipe pourtant soudée et solide, un enfant que certains ont envie de protéger et que d’autres ont envie d’éloigner des plus faibles pour ne pas qu’il leur fasse de mal , un enfant que certains voudraient accueillir davantage, d’autres moins. Un enfant dont certains ont peur, que d’autres ont envie de côtoyer. Un enfant que certains voudraient accueillir hors les murs de l’institution, d’autres pas. E*** a tellement d’adultes autour de lui, tellement de prises en charge, qu’on lui a administré pendant des mois des laxatifs alors qu’il a des épisodes diarrhéiques aigus et quotidiens – il aura fallu plusieurs semaines et des signes manifestes de malêtre intestinal pour que la lumière soit faite sur cette erreur médicale. Heureusement que l’on peut, dans cette institution, dire son épuisement, sa fatigue, sa peur, sa gêne, ça fait véritablement et littéralement équipe autour de lui -et finalement, rares sont ceux, parmi tous les partenaires, qui tiennent sur la longueur sans modifier la prise en charge à la moindre crise, qui maintiennent quelque chose de stable. C’est de la bricole mais ça tient, et il vit à l’hôpital de jour des échanges humains où sa place de sujet lui est garantie. C’est comme cela que nous comprenons les lien établis entre les notions d’objets partiels, de transfert multiréférentiel, et de constellation transférentielle. Les relations sont en autant de petits morceaux que le sujet lui-même, on ne peut rien seul. Ça s’impose à nous et ça transpire, y a qu’à voir.
3. Se faire le thérapôn d’un sujet qui n’est pas encore porté par sa propre demande : prendre son dire au sérieux
Le thérapôn ne livre pas le combat à la place du guerrier, mais il l’aide à porter son équipement. Cette métaphore nous semble tout à fait adéquate s’agissant des patients en psychiatrie. Ils arrivent tous avec un équipement particulier pour mener la lutte que représente le processus de subjectivation. C’est cela, d’après nous, que Pierre Delion nomme l’engagement transférentiel et c’est une posture particulière au soignant qui travaille en institution. On est ici, à cheval entre la clinique et l’éthique, au cœur même de ce qui fait la spécificité de la psychanalyse. Elle nous apparaît être celle qui n’évite pas la rencontre, seule condition possible pour qu’advienne un sujet. Et cette posture de second diffère largement de celle du chef de guerre, elle se rapproche de la « position-déchet » de l’analyste. Si je l’aide à porter son équipement, je ne le porte pas à sa place, c’est son dire, inféré de ses dits, qui m’indique ce qu’il attend de moi.
A ce propos, Faugeras dans son échange avec Oury a une réflexion qui nous semble là aussi allier clinique et éthique : « la surdité qui s’installe lorsque l’on est dans le projet, dans le désir pour l’autre, et que l’on croit savoir ce qui est bien pour lui, comme d’une certaine façon le pensent les technocrates, a des effets ravageurs, destructeurs8 » . Ainsi, faire à chacun le crédit d’être sujet nous semble aller dans ce sens, et même si le mot crédit est aujourd’hui largement galvaudé, rappelons-en les origines latines, *credere signifie croire. Et c’est bien là la source de la posture analytique, croire en l’inconscient, croire au sujet, croire en son dire. Ce n’est pas parce les autistes ne parlent pas qu’ils ne disent rien, Lacan a été très clair à ce sujet ; et la clinique nous le dit tous les jours. D’ailleurs, à ce propos pour poursuivre la réflexion sur l’institution, les réunions de supervision sont souvent l’occasion de faire parler les enfants autistes. Nous avons eu il y a peu l’intervention de Anne-Marie Latour9, psychomotricienne ayant exercé en pédopsychiatrie pendant plusieurs dizaines d’années à laquelle nous avons pu parler de certains petits patients, et de nos difficultés à comprendre leurs attitudes sans mots. Avec quelques unes de nos bribes, elle est parvenue à nous permettre d’accéder à quelque chose de leur monde intérieur, à nous donner une clé pour comprendre ce qui leur arrivait et comment ils s’organisaient pour que ça tienne. C’est cela aussi qu’au fil des interventions reçues lors de notre formation nous avons compris comme « essayez de vous mettre en position de réponse10 ». Tant pis si ça ne marche pas, au moins le sujet en face verra que son dire marque l’autre, le fait réagir, tant pis si ça rate. Tant mieux même si ça rate, c’est que ça vit. C’est cela prendre le dire des sujets au sérieux. Travailler en institution c’est aussi converser avec les fous tout en buvant une tasse de thé, tout en désherbant la cour, tout en malaxant un bloc d’argile, ce n’était pas autre chose que faisait Oury avec la patiente schizophrène avec qui il avait plusieurs fois par semaine «une conversation élégante11 ». Il nous rappelle à cette occasion que le patient en psychiatrie n’est pas le désirant, il est le désiré. Le désirant c’est l’analyste. Et si le désirant se met à croire qu’il sait ce que désire le désiré, alors on entre dans cette logique de pouvoir délétère évoquée par Faugeras. Ainsi, il s’agit de passer du temps avec eux, de discuter, d’observer, d’écouter ce que disent nos collègues, de se sentir libre de proposer un récit authentique en réunion de constellation transférentielle, autorisé à aborder nos questionnements en supervision, passer des temps informels, quotidiens, banals, ordinaires pour que lien instauré ne soit pas manipulé et reste ainsi interprétable à l’aune de tous les petits morceaux que les collègues rapporteront à leur tour. C’est l’expérience, la leur et la nôtre, qui fera que l’on n’aura pas à plaquer du savoir sur une situation qui, soyons honnêtes, nous échappe souvent. C’est aussi un postulat éthique que de considérer ainsi le jeu du transfert et de son maniement.
Contre le découragement, l’épuisement et la sédimentation, Thomas Geysken préconise « la réalisation que nous ne sommes pas des ingénieurs de la guérison, mais des bricoleurs de l’incurable ». La formule ainsi prise aurait tout d’une prescription publicitaire. Pourtant, préconiser une opération de pensée : la réalisation que nous ne sommes pas des ingénieurs, pour lutter contre le découragement, nous amène du côté du signifiant et de ses effets. Quels sont donc ces signifiants face auxquels la psychanalyse doit se montrer intraitable ? Quel est ce fantasme dans les filets duquel elle ne doit pas se laisser prendre ?
II Bricolage et incurable. Enjeux éthiques. Enjeux politiques.
Les « navigateurs perdus en mer » que nous sommes peuvent ainsi au moins user de la boussole qu’est le transfert, à condition bien sûr de le manier sans se prendre pour un superhéros. A condition de parler, à condition d’écouter. Et cela pose un problème colossal au capitalisme : celui de la quantification. Et un autre, colossal également, conséquence du premier, posé au management : celui du protocole. A ces deux gros mots, la psychothérapie institutionnelle répond que nenni, la logique implique face à elle une posture de terrorisme, pour reprendre les mots on ne peut plus forts de Oury12, Pour une fois d’ailleurs, c’est une revendication et non plus une peur que l’on agite pour inviter les agités à rester chez eux, c’est la psychanalyse qui renoue avec son essence subversive. Oury en l’occurence nous avertit du danger que représente le fait de laisser entrer la logique dans l’institution : la quantification, le protocole, la tarification à l’acte ne soignent pas et accentuent au contraire l’aliénation sociale dont souffrent déjà les patients atteints de pathologies archaïques, taillés dans un minerai brut dont les manifestations ne sont toujours pas acceptables socialement. Aussi, si nous ne voulons pas faire le lit de cette aliénation, si notre parti-pris est de seconder le guerrier en lui garantissant son humanité donc sa condition de parlêtre, il va falloir se positionner et être prêt à en découdre.
1. Bricoler en équipe au lieu de s’ingénier à guérir
Si la seule force magique est celle du signifiant, le seul outil dont nous disposons est le langage. Tout n’est pas biologique, les neurosciences se leurrent et nous leurrent, le cortisol est un indicateur de stress, certes, mais comment expliquer le stress lui-même sinon par les effets d’un signifiant inscrits au registre du corps ? Même l’épigénétique est un horizon dépassable, preuve que la science seule ne suffira jamais à expliquer les phénomènes psychiques ; on ne soigne pas avec son savoir, c’est d’ailleurs le meilleur moyen pour éviter la rencontre, pourtant seule garantie de rencontrer un sujet… or quel est le but de la psychanalyse sinon de favoriser les processus de subjectivation ? Partant, que peut-on faire d’autre que bricoler avec l’incurable ? Et d’ailleurs quel est cet incurable ? Pour nous, pas de doutes, c’est l’inscription du langage en nous. Qui peut prétendre guérir cela sinon la mort ? Même la mort est un phénomène psychique, les animaux meurent-ils ou cessent-ils simplement de vivre ?
Ainsi, c’est l’idée même de guérison qui pose problème ici, si guérir c’est guérir du langage, bon courage ! Si guérir c’est s’adapter aux attendus sociaux, non merci ! « Le fantasme d’une santé totale jusqu’à la mort » est mortifère, c’est oublier que le cadavre que nous serons fait son lit au sein-même de l’existence. Adossons-nous, une fois n’est pas coutume (et preuve en est qu’on a tout de même besoin d’elle) à la science qui nous a appris la dégénérescence cellulaire, la disparition progressive des neurones, observons nos chairs, notre musculature, les doigts qui se déforment, la vue qui baisse. Bien sûr qu’il y a de l’incurable ! Et c’est ce qui nous garantit précisément notre humanité ! Le désir d’intemporalité est mortifère donc, et si Geysken propose de remettre de la chronicité et de l’inventivité c’est parce qu’il est pour la vie. Ça sonne un peu creux dit comme cela, mais allons vois de plus près où cette phrase peut nous mener.
Le mot ingénieur provient du latin *ingenium, élément de l’immense famille du verbe latin *genere qui signifie « engendrer, créer, produire, faire naître, causer », relié à la racine indo-européenne *geno- « engendrer ». Cela a donné ensuite *engigneor « constructeur d’engins de guerre », dérivé de engin*; une réfection probablement due à la volonté de séparer le mot de l’ancien verbe *engignier « tromper ». Cette origine ne peut que nous inciter à éloigner les ingénieurs des métiers du soin, la position toute-puissante (et somme toute un peu folle) qui consiste à prétendre engendrer, produire un être en bonne santé, tout comme l’aspiration à construire un engin de guerre, autrement dit un aspirant à lutter contre son symptôme, sa folie, ses manies, ne sont pas plus inspirantes que ses premières accointances avec le terme « tromper ». On se rappellera les qualificatifs prêtés au roublard renard, suffisamment ingénieux pour tromper son monde… Et si l’on ajoute à cela que ce à quoi s’ingénie l’ingénieur c’est à guérir, fuyons ! Tout nous pousse à voir cela comme une lutte contre la mort, une lutte contre le bizarre, une lutte pour que règne le normal.
En opposition totale, Geysken préconise que nous bricolions l’incurable. Et la bricole n’est pas la broutille ; bricoler c’est voir avec l’autre comment il fait en sorte que ça tienne, rien de plus. C’est là notre rôle. Et il se passe, s’agissant de l’institution, dans le quotidien, dans les ateliers, entre les portes, mais aussi en réunion, dans les temps de régulation, de supervision, en réunion de constellation. Et c’est dans ces temps-là que nous sommes au cœur de la clinique psychanalytique. Nous pourrions même entrer dans la clinique borroméenne qui a bien conscience que la vie ne tient qu’à un fil ; et si ce fil c’est la corde qui fait tenir le nœud, on voit bien que les bricoleurs ont une place bien plus éthique que l’ingénieur auprès des sujets dits malades. Le bricoleur sait que le patient est en petits morceaux, et c’est en équipe, par les récits de nos expériences vécues avec chacun que ces morceaux peuvent doucement prendre une autre vie en tenant ensemble. C’est un peu comme le kintsugi, cet art japonais qui consiste à réparer les objets en porcelaine ou céramique brisés avec de l’or, pas d’ingénierie ici, mais un travail où on fait tenir ensemble ces morceaux qui sont ce qu’il y a de plus précieux pour que le sujet puisse se dire.

Revenons à E***. L’une des règles de l’institution est que les enfants n’ont pas le droit d’y faire entrer d’objets personnels et que rien de leurs productions réalisées en atelier ne doit en sortir. Une manière de leur garantir une forme de sécurité et d’intimité. Qu’au moins quelques morceaux tiennent et restent où ils sont, une manière d’éviter d’accentuer la dislocation. Pourtant, il y a quelques semaines, E*** dont c’était l’anniversaire est arrivé avec un appareil photo. Le couple du lieu de vie qui l’accueillait le lui avait offert pour ses dix ans. Il en était ravi et prenait absolument tout en photo, fier de nous montrer ce qu’il vivait au dehors. En visionnant photos et vidéos, deux choses m’ont frappée : essentiellement des photos de paysages en mouvements montrant à quel point E*** était nomade, à quel point sa prise en charge impliquait de déplacements, et des photos des éducateurs de son autre lieu de vie. Aucune du couple. E*** enfreignait la règle. De plus, en prenant des photos des enfants ou de l’institution, il risquait de les exposer et de dévoiler des pans censés rester dans l’institution. Pourtant, on voyait bien que cet objet faisait entièrement partie du transfert multiréférentiel, et que ce que les adultes peinaient à faire, à savoir du lien, E*** s’y attelait via cet appareil qui permettait aux uns et aux autres de savoir qui était qui, cet appareil photo était un dire d’E***. Nous en avons donc parlé en réunion puis avons décidé d’accepter que cet objet, devenu une partie d’E***, aille et vienne avec lui. Peu de temps après, le lieu de vie tenu par le couple s’est désengagé de la prise en charge d’E***, et le petit garçon a volontairement laissé l’appareil photo chez eux, ne souhaitant plus le garder avec lui.
Voilà ce qu’est pour nous le bricolage de l’incurable. De la même manière que nous sommes tous navigateurs, nous sommes tous bricoleurs. Et l’incurable ici encore, semble bien se rapporter au langage. C’est la raison pour laquelle le temps logique, la logique même, si elle s’insinue dans l’institution lui font courir des risques dévastateurs. Le temps institutionnel lui, obéit à d’autres signifiants.
2. Le temps institutionnel n’est pas « managérable »
On traite dans l’institution avec du brut, des comportements et des modes d’être qui ne sont pas socialement acceptables, si l’on ne prend pas garde à cet aspect, on va accentuer l’aliénation sociale. Et un thérapeute seul ne pourra pas s’en emparer, c’est pourquoi il n’y a pas d’autre option que le bricolage à plusieurs pour accueillir ces guerriers drôlement équipés et se poster à leurs côtés, comme seconds. Manager l’institution, mettre en tête des services des personnes n’ayant jamais été aux côtés d’un schizophrène, proposer aux soignants des réunions de management où l’ordre du jour est décidé par les têtes pensantes, imposer des modèles de gestion13 et plans d’action qu’ils soient idéologique, orthopédagogiques ou médico-psychiatriques c’est tout mettre en œuvre pour éviter la rencontre. C’est croire qu’on peut faire entrer le parlêtre dans une dynamique chiffrée. Et si l’injonction qui a le vent en poupe se rapproche de « plus d’actes, moins de réunions », il faut résister. Dans cet hôpital de jour qui résiste, c’est une toute autre pensée qui est à l’oeuvre, c’est en cela qu’il s’adosse à la psychothérapie institutionnelle : nous avons chaque mardi matin une réunion d’organisation de deux heures, et chaque vendredi une journée de discussions cliniques. A cela s’ajoutent les supervisions et les temps de formation. Et après chaque atelier dans la journée, un temps de reprise est prévu, nous redescendons avec les enfants en salle d’accueil, et les soignants remontent pour quinze minutes de reprise à bâtons rompus dont tous les termes sont consignés sur un cahier dédié. L’équipe est soudée, stable, ceux qui y entrent y restent, les échanges sont fructueux, les morceaux des enfants sont rassemblés, les peurs et les difficultés sont nommées. Chacun est entendu.
C’est la raison pour laquelle il faut résister, bien sûr qu’il est plus confortable de ne pas avancer masqué, mais face à un pouvoir tyrannique, face aux logiques managériales, mieux vaut résister que céder à la dépression. Delion conseille par exemple à ceux qui sont aux prises avec une dynamique managériale en institution, de se réunir malgré tout pour faire des réunions de constellation transférentielle, quitte à ce que ce soit hors cadre. C’est un outil de résistance, un outil pour tenir, un outil pour ne pas sombrer face aux trois ennemis du soin évoqués par Thomas Geysken : le découragement, l’épuisement et la sédimentation.
S’il y a une bataille que le thérapôn se doit de livrer, c’est peut-être celle-ci. Régulations, supervisions, réunions de constellations transférentielles, formations, réunions d’organisation, temps de reprise, temps d’écrit, temps de lecture, sont absolument indispensables pour que ça tienne, pour que l’expérience avec le patient soit contenue dans le regard de l’équipe et pour qu’ainsi, le patient lui-même soit contenu. C’est la différence entre la contention et la contenance. On le voit très bien dans le documentaire Etat-limite de Nicolas Peduzzi où un jeune psychiatre est seul pour tout un hôpital en région parisienne, il évoque la tarification à l’acte qui se met doucement en place et pour laquelle il a rejet fondamental, lui qui prend le temps d’être au chevet de chaque patient, d’échanger, de passer à l’improviste pour avoir « une conversation élégante », d’envoyer des petits sms, de recevoir les familles pour échanger et conseiller. Mais il est seul, face à la hiérarchie, seul soignant, pas d’équipe, pas d’équipier. Il finit par craquer, par lâcher son poste le jour où une conversation téléphonique avec son superviseur lui permet de comprendre que l’hôpital se fiche des morts, se fiche que les patients aillent mal, se fiche même, et c’est ce qui le fera se décider, de sa mort à lui. On le remplacera.
3. Refuser de se faire chevalier de la norme, le mieux-être n’est pas le bien-être
C’est Tosquelles, Oury et nos lectures qui nous auront permis de cerner toute la portée politique de la situation actuelle de la psychiatrie. C’est Tosquelles aussi qui nous aura permis de comprendre qu’il faut aussi lutter contre ce qu’il appelait la « psychanalysette » : il ne suffit pas d’avoir un divan ou une plaque, la fonction d’analyste est diffuse et si l’on n’y prend pas garde elle peut vite virer vers la bureaucratie et favoriser l’enfermement14. Et toute la haine déversée sur la psychanalyse, justifiée peut-être par les agissements ou les propos de certains doit nous rendre plus vifs encore, plus alertes. Au motif qu’une opération est ratée, on n’interdit pas la chirurgie, nous dit Delion, on s’en prend au chirurgien qui a fait n’importe quoi. Et si on a réservé à la psychanalyse un autre sort que celui-ci, c’est justement parce qu’elle est profondément subversive en luttant contre l’injonction tyrannique à l’adaptation. Elle est là pour faire avec ce qu’il y a, et ce qu’il y a c’est du vivant ; on n’intervient pas sur le vivant, pas plus qu’on ne guérit de la forclusion. C’est bien la raison pour laquelle la maladie mentale ne peut pas être réduite à une maladie, et ne peut donc pas être abordée sous le seul prisme de la science sans s’assurer de passer à côté de ce qui fait sa spécificité, à savoir une maladie du langage de laquelle il se pourrait bien qu’on soit tous atteints.
Aussi, refuser d’être le bon élève qui ânonnerait les dogmes scientifiques appris par cœur et assurer que celui qui échappe à la règle est celui qui feint, c’est accepter d’adopter un autre rapport au savoir et un autre rapport à la hiérarchie. Ce n’est pas autre chose que disent Tosquelles et Delion quand ils proposent chacun à leur manière, de distinguer la hiérarchie statutaire de la hiérarchie subjectale. Cette pensée est hors-norme, c’est la spécificité de la psychanalyse que nous avons à défendre là aussi. La maîtresse de maison de l’hôpital de jour dont je vous ai parlé est partie prenante des activités et des soins apportés aux enfants, elle a même proposé un atelier du goût à une petite fille qui avait des difficultés liées à une fixation anale, l’a présenté en réunion, elle assiste aux ateliers poneys, propose des ateliers du temps qui passe et un temps de comptines. Elle a toute sa place en réunion, et son récit est tout aussi important que celui du médecin psychiatre. Ah non, au temps pour moi, nous n’avons plus de médecins depuis dix mois… mais c’est une autre affaire. Pour en parler tout de même un peu, il n’est pas inintéressant de constater que l’équipe fonctionne sans.
Ce qui est hors-norme également dans le discours que nous aurons tenu tout au long de cette réflexion, c’est l’idée qu’à se faire prescripteur, on en vient à nier la possibilité que ces sujets puissent avoir un dire, originé par leur désir. Or un sujet sans dire ni désir, qu’est-il ? Que reste-t-il ? Où est donc passé le thérapôn qui lui garantissait de défendre son humanité jusqu’à ce qu’il le fasse lui-même ? Fantasmer que l’on sait ce que l’autre veut, dit, fait, pense, désire, n’est-ce pas le dés-apprentissage de l’ABC de la psychanalyse ? Pourtant, ce qui est aujourd’hui nommé comme le « bien-être » en a tous les atours, et une collègue de formation qui travaille en CHRS s’est vue dans l’obligation de proposer aux « usagers » un parcours bien-être ; alors qu’elle s’adosse à la psychanalyse. Comment s’en sortir ?
Est-ce que ce ne serait pas celui-là, « l’analyste citoyen » dont parle Alfredo Zenoni15 ? Celui qui n’est pas reclus dans son cabinet, hors du monde, mais dans la cité, à veiller au grain de la « particularité du sujet » et de ce qui, de celle-ci « peut être utile pour un plus grand nombre » ? Sa proposition est que le « respect des Droits de l’homme » ne soit pas coupé de la dimension du sujet dans la clinique ; et c’est justement ce qui ces derniers jours m’a sauté aux yeux en lisant la presse. Sur Mediapart, Caroline Coq-Chodorge est spécialiste des questions liées à la psychiatrie et les articles que j’ai parcourus ne font jamais état de cette dimension alors qu’il est en ce moment question des abus liés à la pratique de la contention physique des malades dont on ne sait plus quoi faire, non pas seulement parce que les lits manquent, mais parce qu’il n’y a plus assez de psychiatres dans les services. Les « malades » se trouvent donc placés en transit aux urgences, et contraints physiquement, les témoignages sont ahurissants de violence. Et par définition, la violence est ce qui nie à l’autre sa condition du sujet, c’est quand même un comble s’agissant de services psychiatriques. Et pourtant, on ne parle que des droits de l’homme bafoués, aucune mention n’est faite de la qualité de sujet de ces personnes violentées ni des conséquences sur celle qu’on nomme leur maladie ou leur folie selon les cas. C’est un peu ça pour moi, la différence entre l’ingénierie et le bricolage, entre la contention et la contenance, entre le bien-être et le mieux-être, entre la promotion de la guérison et la quête de « l’émergence d’un désir qui n’exclut ni le malaise ni l’angoisse »16, entre les droits de l’homme et l’éthique du sujet. Ce qui n’est pas incompatible, bien au contraire, avec le « devoir d’humanité » qui est à l’origine de la naissance de l’institution qui accueille les personnes psychosées. Elle est d’abord là comme terre d’asile, un endroit qui les met à l’abri de cette violence et les protège avant de les « traiter ». Les traiter de quoi, d’ailleurs ? De fous?
Notes et éléments bibliographiques
1 GEYSKEN Thomas, « Un bricolage incurable », in Institutions, Revue de psychothérapie institutionnelle, 58, octobre 2016, p 20.
2 Ici la réponse est dans la question.
3 Nous empruntons cette mention à Anna Kirchner.
4 D’ailleurs, l’anglais « I don’t care » dit que l’on s’en fiche.
5 Autre expression empruntée à Delion
6 DELION Pierre, Séminaire sur l’autisme et la psychose infantile, Toulouse, Erès, 2013, page 69
7 Hôpital de jour « La maison lune », Le Vigan, psychoses infanto-juvéniles.
8 OURY et FAUGERAS, 2016, page 106
9 LATOUR Anne-Marie, La Pataugeoire : contenir et transformer les processus autistiques, Toulouse, Eres, 2007
10 Proposition faite par Walter Gerbin au cours de son intervention dans le cadre du D.U. de clinique psychanalytique
11 OURY Jean et FAUGERAS Patrick, Préalables à toute clinique des psychoses, Toulouse, Erès, 2013/2016, page 21
12 OURY et FAUGERAS, 2016, page 111
13 Pierre Delion mentionne à ce sujet un ouvrage intitulé Libres d’obéir, le management du nazisme à nos jours, de Fabrice Chapoutot
14 OURY Jean, « En psychanalyse avec Jacques Lacan », entretiens radio sur France Culture, consulté en ligne le 14.05.24 ici https://www.radiofrance.fr/franceculture/lacan-grandeur-et-dissidence-4773341
15 ZENONI Alfredo, « Pratique institutionnelle et orientation analytique », L’autre pratique clinique. Psychanalyste et institution thérapeutique., Toulouse, Erès, 2009, page 17
16 ZENONI Afredo, 2009, page 18
Autres références bibliographiques
DELION Pierre, La constellation transférentielle, Toulouse, Erès, 2022
MALEVAL Jean-Claude, Logique du délire, Rennes, PUR, 2011
MASO Joana, François Tosquelles / Soigner les institutions, Barcelone, Aarcadia / Paris, L’Arachnéen, 2021
Ce texte est un devoir rendu dans le cadre du D.U. de Clinique psychanalytique.
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